• Histoire et analyse ésotérique

    Histoire et analyse ésotériqueExtrait de  "Carbonari et Charbonniers" - Régis BLANCHET

    Le Bois et la Pierre

    "Quitte à mieux percevoir les racines profondes et antiques qui feront bourgeonner au début du XIXe siècle la société très secrète des Carbonari, il faut aller en amont sur plus d’un millénaire et tenter de comprendre ce que « forêt », « bois » et « charbon » signifient sur les plans culturels et philosophiques, mais aussi religieux et politique, éventuellement économique.

    La structure antique de la « pensée de la forêt » est antérieure à l’Empire romain et recouvrait toute l’Europe celtique tant atlantique que germano-scandinave et l’ensemble des régions balkaniques. Une étude archéologique et anthropologique des trois périodes de La Tène et de la civilisation de Hallstatt (bassin autrichien actuel entre 500 et 200 av. J.-C.) nous montre une société pré-industrielle forte et brillante dont la structure sociale repose sur des clans disséminés au sein des forêts.
    Les seules concentrations humaines notables sont industrielles (travail de la métallurgie et du bois) et commerciales (échanges saisonniers entre les clans).
    Il y avait aussi des sanctuaires religieux plus ou moins importants ayant une activité sacrificielle variable suivant les lieux et les époques mais qui, de toute évidence, peuvent être considérés comme des points de concentration occasionnels.
    Pour le reste, les populations étaient formées de clans installés dans des clairières forestières et parfaitement indépendants les uns par rapport aux autres. Quand un clan devenait trop important, il essaimait, se scindait en deux, et une nouvelle clairière était mise en place à une distance respectable de la première afin que les intérêts des deux clans n’entrent pas conflit. Ainsi de véritables royaumes claniques se constituèrent.
    Chaque clan avait un chef militaire et un chef religieux, et les deux ensemble formaient une puissante clé de voûte « druide-roi ».
    L’alimentation reposait sur le glanage forestier (racines, plantes, fruits), sur un petit élevage (porcins, ovins principalement) et un peu d’agriculture. Les produits de la chasse, et de la pêche pour certains, tenaient aussi une part importante dans l’alimentation des clans celtiques.
    Les activités pré-industrielles de ces clans étaient parfaitement déterminées par la forêt elle-même et se concentraient sur trois métiers très communs: le bois, le charbonnage et la métallurgie. Notons enfin qu’une de leurs « spécialités », la pharmacopée, était connue de tout le Bassin méditerranéen dès le début de l’âge du fer (1000 av. J.-C.) et que nombreux furent les Grecs pythagoriciens qui vinrent en Gaule pour y être initiés.
    Ces clans celtiques entretinrent de très riches échanges commerciaux avec leur environnement. Spécialistes de la métallurgie, ils avaient une connaissance approfondie des ressources minérales généralement affleurantes. La Bretagne armoricaine et la Cornouaille fournirent en lingots d’énormes quantités d’argent, de plomb et d’étain, surtout aux Phéniciens, peuple maritime méditerranéen, qui les répartissaient ensuite vers les demandes ponctuelles des cités et nations en croissance.

    Un certain choc de civilisations eut lieu quand la Rome impériale et méditerranéenne se mit à vouloir fédérer dans son influence les Gaules, la Germanie et les futures îles Britanniques jusque-là appelées les « Îles au Nord du monde ».
    En ce qui concerne les Gaulois, l’absence de coordination et de logistique des clans celtiques leur firent perdre cette « guerre des Gaules » et les Romains induisirent une nouvelle structure sociale - dont nous sommes encore les héritiers - en fondant des castrum - embryons des cités à venir - et des voies de communication les reliant entre eux. La monopolisation militaire de ces villes et de ces routes créa une « ossature » autoritaire et centralisée qui s’imposa politiquement dans un monde exclusivement forestier et libertaire. De là naquit la confrontation de deux pensées, de deux mondes, totalement différents qui s’interpénétreront sans toutefois perdre leur identité.
    D’un côté, nous avions la brillante action civilisatrice de l’Empire romain militaire, puis religieux, dont l’architecture reposait sur le mortier et la pierre.
    De l’autre côté, nous trouvions une civilisation forestière parfaitement rodée à ses us et coutumes, basée sur le bois, qui, avec le temps, se mit à renâcler devant les avancées de la « Ville » au nom d’héritages traditionnels plus individualistes.
    Progressivement, la « Forêt » devint le symbole même de la liberté et de la résistance à tous les impérialismes urbains. Cela est très sensible dans les trois époques du Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle où l’industrialisation et l’extraction de la houille minérale finirent par briser irrémédiablement la chaîne pré-industrielle des clans forestiers: bois, charbon, forge.
    C’est ainsi que, sans le savoir, les paysans - les pagani - devinrent d’irréductibles « païens » (mot français issu de paganus = paysan) et que leurs héritages culturels devienrent « hors la loi » du fait qu’ils étaient « hors la ville ». Les rapports de force furent constants.

    Les Carbonari ont toutes les caractéristiques de la conservation de cet héritage bien fixé dans les inconscients collectifs européens. Ils reprirent le symbole du charbon comme base fédératrice de leur image. Ils se réunirent au sein du monde rural. Ils s’opposèrent fermement, presque dogmatiquement, aux impérialismes religieux (la Rome impériale) et politiques (rois de droit divin); autrement dit, la « forêt » servit encore une fois de lieu de résistance et d’action contre l’impérialisme urbain.
    Ils eurent aussi les mêmes défauts que ceux de leurs sources, en péchant par manque d’organisation et de communication tout en oubliant de présenter des alternatives politiques viables.
    Leurs actions furent progressistes et émancipatrices, parfois très utopiques, ce qui ne les a pas empêchés de gagner bien des combats, le plus évident étant les fruits de l’action de Garibaldi qui fit perdre au Vatican les États pontificaux au profit de l’unification d’une Italie républicaine en 1870, ou les poussées républicaines qui finirent aussi par aboutir tant en France, en Allemagne, qu’au Portugal. Le carbonarisme est génétiquement rattaché aux convictions républicaines et constitutionnelles et à toutes les expressions libérales du XIXe siècle".

    Analyse

    La focale est mise par Régis BLANCHET sur la question de la "pensée de la forêt" par opposition à ce que nous pouvons dénommer la "marche de la civilisation" (à entendre étymologiquement comme le fait de regrouper le plus de personnes sous le même toit, par extension, nous dirons, dans le même lieu). Il est à préciser, que notre Vente, entend également la "valeur"  forestière comme un Universel. L'important n'est pas dans le lieu (L'Europe), ni dans la culture (Celtes) ni dans l'architecture (forêts). Nous nous sentons, pour l'exemple, beaucoup plus proches de la culture des Imazighens (Berbères), des spiritualités Rroms, des cosmogonies issues des sociétés Traditionnelles que de nombre de nos concitoyens ruraux.
    Pour nous, Bons Cousins Charbonniers de la Porte Noire, et tout en reconnaissant la valeur des travaux de Régis BLANCHET, la perspective trouve son point de rencontre dans la notion de "paria". Ici s'ancre le lien Universel. L'histoire de la Charbonnerie montre tout son intérêt car, tout en étant une spiritualité héritée de la forêt, elle est une spiritualité de l'en-dehors métaphysique, politique, économique et religieux.
    Ceci étant, le fait que la Charbonnerie soit née de la forêt ne doit pas être réduit à une simple donnée historique. En ce sens, Régis BLANCHET, a raison de démontrer que  les Hommes de la forêt à la différence des Hommes de la ville ( du "Castrum" dont nous conseillons de méditer l'étymologie), font porter leurs actions et leurs visions à partir de socles politiques et spirituels différents. Le lien entre le spirituel et l'action quotidienne, la société du petit nombre et non du regroupement, la résistance aux changements, les cosmogonies qui ancrent l'Homme dans la Nature , l'équilibre plutôt que le progrès,  les rites bachiques et fusionnels sont à l'inverse opposé de la civilisation des villes (L'action déracinée, le grand nombre, la passion du progrès, l'exploitation des ressources naturelles, le changement perpétuel, les conventions et l'individualisme).
    L'organisation antique des forestiers est, en effet, pour la Charbonnerie, une histoire qui insuffle à cette spiritualité une force et un enraciment profond par son ancrage millénaire et symbolique puissant.
    Sans renier cet héritage, puisqu'il fait partie intégrante de la Charbonnerie, notre vision est cependant, non pas tant de poser la Hache sur le billot (nos rituels forestiers) que de faire rougir sa lamelle sur les  Braises (rituels paria).
    Enfin, il est à mettre en réflexion le lien tenu existant entre la "forêt" (du latin Foresta - qui exprime l'idée de ban, de proscription) et le "paria" (le Parayan à savoir, en langue Tamoul, le "joueur de tambour" qui est aussi l'infâme...). Ainsi, le Charbonnier est symboliquement, notamment en Europe, le paria géographique et métaphysique par excellence. Au ban du sacré, au ban de la production, au ban de la ville.

    En conclusion, nous estimons que la Racine est moins importante que la Cime. C'est cette dernière qu'il convient d'atteindre. Mieux vaut pour cela que la Racine soit solide et profonde. Mais il s'agit d'une condition et non d'une finalité.